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Le travail, c’est le TOP !

Je ressors ce texte, qui doit pouvoir s’appliquer tel quel à l’A45, au prolongement du métro B, etc dans la mesure où « dans une société structurée par le travail et où le travail se raréfie et se spécialise toujours plus, les besoins de transports n’ont pas de limite« .

Le TOP (Tronçon Ouest du Périphérique) c’est un projet de construction d’une nouvelle autoroute autour de Lyon. Un débat a été organisé par le CNDP (Commission nationale du débat public) pour confronter les points de vue, dont beaucoup se demandent s’il aura une influence quelconque sur la décision finale, qui revient à la communauté urbaine de Lyon, dite Grand Lyon.

Ce débat, qui vient de s’achever, aura été l’occasion, pour bien des opposants au projet, d’argumenter que la seule solution alternative crédible à cette nouvelle autoroute était le développement des transports en commun, pour répondre à nos besoins de mobilité.

Mais au-delà du besoin de mobilité et de moyens de transport, on peut s’interroger sur le type de société qui engendre ce besoin. De quel besoin parle-t-on ? De celui de l’économie ou de celui des gens ?

Car, nous semble-t-il, il ne s’agit guère aujourd’hui de voyager, de jouir des paysages, d’aller à la rencontre de l’autre. Mais uniquement de trajets imposés par la production et la consommation de marchandises. Qu’il s’agisse des travailleurs qui se rendent de plus en plus loin de leurs domiciles, où ils se vendent comme force de travail. Ou qu’il s’agisse d’autres marchandises qui, « grâce » à l’optimisation financière du flux tendu, transitent dans des camions toujours plus nombreux sur les routes.

A ce titre, les transports en commun pas plus que les autoroutes n’entament ne serait-ce qu’un peu cette logique.

Lyon pourrait regarder ce qu’est devenu Paris pour se faire une idée : aucun transport en commun ni aucune autoroute n’a empêché la dégradation générale des conditions de vie des gens, et l’augmentation continue des trajets quotidiens. En moyenne en Ile-de-France, les gens ont à subir deux heures de transport quotidiennement (*) . Personne ne croit plus que telle ou telle nouvelle infrastructure de transport pourra y changer quelque chose. Tout ce que l’on peut dire, c’est que la construction de ces grandes infrastructures diffère quant aux mastodontes qui peuvent les installer, même si dans les deux cas le béton et le fric coulent à flot. On ne pourra toutefois pas défendre ces projets au nom d’un « intérêt général », puisqu’ils ne font que permettre à un système pervers de dépasser les limites qui le contraignent, jusqu’au prochain goulet d’étranglement.

Car dans une société structurée par le travail et où le travail se raréfie et se spécialise toujours plus, les besoins de transports n’ont pas de limite (**). Plus les transports sont efficaces, plus ils engendrent de nouvelles activités construites sur le même mode : du travail parcellaire pour créer ou consommer de la valeur marchande, gagner ou consommer des gains de productivité par de nouveaux dispositifs de gestion, standardiser et particulariser les marchandises produites et consommées, mécaniser quand c’est possible ou exploiter la main d’œuvre à moindre coût.

Face à cette logique du travail capitaliste que personne n’interroge, on assiste aussi bien à la fuite en avant dans les méga-projets inutiles, qu’au repli sur des identités locales ou nationales hallucinées, en rêvant d’un petit « capital vertueux » au chevet du travail honnête, et cherchant la petite différence qui justifiera l’arbitraire d’un capitalisme qui par nature doit exclure.

On sait que les urbanistes et écolos tirent aujourd’hui la sonnette d’alarme contre l’étalement urbain. Ils prônent donc une ville dense, tandis que les gens persistent à vouloir s’échapper des noyaux urbains… le temps d’y revenir pour aller y travailler. Comme les centres urbains continuent à concentrer les emplois disponibles, la ville dense ne peut qu’à la fois attirer (pour les emplois) et repousser (du fait des conditions de vie et/ou du coût du logement). Cette contradiction fondamentale ne pourrait être dépassée qu’en reposant le problème du travail.

Si le problème du travail n’est pas posé, c’est aussi de la responsabilité de ceux qui l’éludent, plus ou moins volontairement, au profit de questionnements techniques sans issue (quels moyens de transport développer). Il faudrait peut-être commencer par éviter de naturaliser les besoins de transport, à grand renfort de chiffres en tout genre, qui sont sensés objectiver un problème. Alors qu’ils renforcent des pratiques, où au final les êtres sont réduits à leur fonctionnalité au sein de la machine-travail planétaire.

Alors que ces chiffres diffèrent, aussi, le moment collectif où il faudra nous confronter à nos propres contradictions : participer à une machinerie économique qui n’a jamais répondu qu’à ses propres nécessités, tout lui confiant le rôle de répondre à nos besoins fondamentaux. Le travail est d’abord une contrainte à surmonter pour gagner de l’argent, et un chantage pour accéder à une subsistance produite selon le même postulat : gagner de l’argent. La variété infinie des situations de chacun face à cette contrainte ne manque pas de générer des inégalités iniques, aussi bien que des conditions de vie indignes même pour ceux qui ont la chance de se faire exploiter. Mais que nous soyons chômeurs ou salariés, jeunes ou vieux, il reste encore une parole sensible à libérer face à l’impasse dans laquelle on nous force à aller – prétendument pour vivre.

Avril 2013

Sortir de l’économie tendance lyonnaise

 

(*) Selon les chiffres de l’Observatoire régional de santé au travail d’Ile-de-France. Cf. L’article « En Ile-de-France, deux heures de trajet domicile-travail », 03/03/2010, Les Echos.

(**) Déjà, on nous susurre que le télétravail pourrait être la solution, si seulement on se décidait à utilisera au maximum les potentialités émancipatrices de l’outillage numérique qui a désormais déferlé dans tous les pores de nos vies. Il est vrai que, pour l’instant, cet outillage n’aura servi qu’à rationaliser un travail toujours plus parcellaires et dénué de sens. Et que ce petit écran que l’on ne lâche pas du regard nous évite d’avoir à supporter la laideur des espaces toujours plus laids que nous traversons tous les jours pour gagner de l’argent, ou acheter des marchandises. Il faudra alors s’interroger à quelles conditions le télétravail pourrait se généraliser, et si ces conditions ne consisteraient pas, précisément, à accélérer cette dégradation que nous vivons.

 

 

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